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La gastronomie

03/11/2018

Robert Julien Courtine, 1970, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 125 p

 

Ce Que sais-je ? écrit par Robert Julien Courtine, auteur et journaliste gastronomique français de la seconde moitié du XXe siècle, évoque la gastronomie par un angle assez complet, prenant en compte tout ce qui gravite autour de son étymologie "loi du ventre". La gastronomie est pour lui un retour à la simplicité, aux sources même de notre alimentation. Elle réconcilie ainsi plaisir, santé et environnement. Une approche qui semble plutôt novatrice pour l'époque...

 

La gastronomie est selon Brillat-Savarin indissociable de la santé morale et physique ainsi que du terroir. «La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme, en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes au moyen de la meilleure nourriture possible. Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent convertir en aliments. Ainsi c’est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et les nombreuses famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils désignent leur emploi à la préparation des aliments...» (50)

 

La cuisine simple des femmes se situe à la racine de la haute cuisine. C’est elle qui est le plus lié aux choses simples et délicieuses ainsi qu’au terroir. C’est elle qui sait dire la vérité de ce qu’elle contient. «Les chefs sont l’étude, le plus souvent, la femme est l’empirisme, toujours. Ce qu’elle sait, elle le tient de sa mère, qui le tenait de sa grand-mère. Ainsi, inférieure quant à la présentation, visant moins à l’effet, sa cuisine est une alchimie de patience et d’amour. N’est-ce pas le secret des meilleures réussites ? N’est-ce point là la gastronomie ? Les défenseurs de la haute et noble cuisine apprise disent dédaigneusement : «la cuisine simple». La cuisine des femmes a sa noblesse, mais c’est une noblesse de coeur. Elle est, pour le reste, bourgeoise et teintée de régionalisme, car elle prend sa source aux produits même du sol où elle est née. Elle est robuste et saine. Elle «annonce la couleur» pour employer une expression d’argot, et rien n’y est «masqué» (pour employer cette fois une expression chère aux cuisiniers).» (72) «étudier pas à pas, mets à mets, l’influence de la géographie sur l’alimentation des peuples et celle de la cuisine sur leur histoire. En découvrant, avec Curnonsky, les mérites - et mieux la suprématie - de la cuisine des femmes, on revient aux sources.» (73)

 

La vraie définition de la gastronomie. «S’il nous fallait une définition de la gastronomie, autre que celle de «technique d’une cuisine bien comprise» que nous proposions dès le premier chapitre, nous dirions ici que c’est «l’art de bien manger pour vivre sagement» (74)

 

La vraie gastronomie n’est-elle pas la sublimation des aliments de qualité dans le cadre d’une cuisine simple ? «Un des meilleurs écrivains gourmands d’aujourd’hui Francis Amunategui, a parfaitement résumé la question en parlant de cuisine simple : «La cuisine simple se reconnaît à ce que le ou les produits qu’elle utilise n’ont pas été déformés, à ce que les plats ne bourrent ni n’écoeurent, à ce qu’ils ont de maniement facile. Par cuisine simple, je n’entends pas naturellement cuisine pauvre, mais cuisine intacte, sincère, honnête et transparente. Une tranche de foie de canard frais est l’échantillon le plus brillant de la cuisine simple. Mais dès qu’on avise de la malaxer et d’en faire une farce brûlante au sein d’une palombe, on se comporte comme l’iconoclaste qui briserait les pieds d’une console Louis XVI pour réchauffer sa carcasse d’imbécile.» (75) «Le client est, pour une bonne part, responsable de ces nouveaux plats qui ne sont ni nouveaux ni plats. Blasé, ou voulant l’être, il s’emballe pour l’originalité, fut-elle de mauvais aloi. «Mon cher, je vais vous étonner, j’ai découvert un chef extraordinaire.» On suit le Colomb des fourneaux et l’on se voit servir une tranche de jambon roulée, farcie d’avocat et dans une sauce aux cerises. «Alors, n’est-ce pas extraordinaire ? Avouez que vous n’avez jamais mangé ça nulle mart ?» Eh non, bien sûr ! Et Heureusement !» (80-81)

 

Autrefois, tous les aliments, même en quantité restreinte étaient pour ainsi dire de qualité. L’authenticité du vrai produit vivant et savoureux n’a hélas plus vraiment cours aujourd’hui. «Longtemps, la qualité fut chose commune. Gustativement parlant, le paysan vivant «d’herbes et de racine» se nourrissait mieux, tout compte fait, que l’homme d’aujourd’hui. Le miel de ses ruches, les fruits de son verger lui fournissaient un sucre autrement «gastronomique» que l’horrible aliment mort qu’est le sucre de betterave. Le bourgeois mettant la poule au pot de son dimanche se régalait d’un volatile à la chair savoureuse, au suc «sincère» ; son palais connaissant d’autres révélations que celui du malheureux citoyen d’aujourd’hui réduit à mâchouiller la chair triste et fade des volailles d’élevage.» (77)

La gastronomie se retrouve d’abord dans le choix des bons produits. «De sorte que gastronomiser, aujourd’hui, reste chercher en tout le meilleur, et le chercher dans les choses les plus humbles, les produits les plus banals, ceux de la grande production quasi industrielle, voués par conséquent aux falsifications de l’époque. Ce n’est point facile. La ménagère qui, au marché, préfère la salade du petit producteur local à celle arrivée d’Algérie fait de la gastronomie, tout autant que le consommateur qui choisit un beurre usinier dont la publicité l’agace à juste titre. Le nouveau «savoir manger» que nous imposent les temps actuels, teinté de diététique et surtout de bon sens, doit s’axer avant tout sur le choix du meilleur et du sain. Il laisse par conséquent à la gastronomie tous ses droits." (78)

 

L’époque moderne privilégie la quantité à la qualité, la production à l’amélioration de l’alimentation. «On site souvent ce distique de Curnonsky, prince élu et unique des gastronomes, mort en 1956. «La cuisine, c’est quand les choses ont le goût de ce qu’elle sont». On n’y réfléchit pas assez. Hélas, les choses ont de moins en moins le goût de ce qu’elle devraient être. La cuisine est le reflet de la marchandise utilisée. Cette matière première n’est plus ce qu’elle était autrefois, c’est un fait. Pourquoi ? [...] Le problème n’est pas neuf. L'équilibre est rompu de longtemps. Les rêveurs, les savants idéalistes comptaient et comptent sur la science, le progrès, la chimie - pourquoi pas sur la Lune et ses vastes champs vierges ? Sur la Terre, les usines, toujours les usines, encore les usines, remplaceront les champs, les prés, les bois. Barjavel l’annonçait déjà dans Ravage : une immense viande mère se reformera d'elle-même dans les lacs de Satan. Et des expériences avec les intrasauces ont déjà montré que l’on pourra donner à son bifteck  la saveur que l’on voudra : faisan, mandarine ou camembert. Mais pour faire rendre toujours plus à la terre épuisée, la science a imaginé les engrais chimiques. Ceux-ci, à leur tour épuisent la terre davantage. Les résultats en sont des produits du sol de moins en moins honnêtes et sains. (81-82)

Nourrir la nation tout entière est problème de gouvernement. "Par sottise, par ignorance, par inconséquence, les gouvernements se préoccupent de favoriser l’augmentation de la production sans s’intéresser véritablement à celle-ci. Il faut que chaque Français ait du pain à volonté quel que soit ce pain et même si ce pain nocif, ou à tout le moins sans propriétés nutritives, pouvait être remplacé par une quantité moindre, rationnée, mais suffisante, d’un pain de rendement nutritif supérieur." (82)

 

Une alimentation aujourd'hui meilleure en quantité et en variété mais pas en qualité. «Le Pr Delore, faisant un parallèle entre le régime alimentaire des paysans français contemporains et celui des paysans d’autrefois a mis en lumière deux faits apparemment contradictoires  : le paysan se nourrit mieux qu’autrefois, en quantité et en variété, mais moins bien qu’autrefois en qualité puisque sa santé et sa longévité en pâtissent. Cela parce que l’industrialisation scientifique de la nourriture s’est heurtée à la réalité de la vie et que la pratique a bouleversé les données des théoriciens." (84-85)

Santé-Goût-Terroir

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