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Gastronomie française. Histoire et géographie d'une passion

13/05/2018

Jean-Robert Pitte, 2005, Fayard, 265 p

Jean-Robert Pitte est membre de l’Institut et président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires qui a permis le classement par l’Unesco du repas gastronomique des Français au patrimoine immatériel de l’humanité. Nous revenons ici sur l’ouvrage qu’il a publié en 2005 et dont il est intéressant d’extraire certains points de vue largement partagés par Santé-Goût-Terroir, comme le lien intime et légitime entre géographie et alimentation, terroir et goût, table et les quatre sens, gastronomie et environnement naturel et social. La reconnexion à son corps et à son environnement est autant nécessaire pour apprécier un plat que la pleine présence au plat est nécessaire pour ressentir le monde.

Etre exigeant à l’égard de son alimentation, c’est l’être à l’égard de tout ce qui concourt à produire, conserver et préparer les produits et donc l'être à l'égard de soi-même. «Certes ! Les Français ne sont pas coiffés, n’ont pas acquis cette science et ce goût en un jour et ne sont pas les meilleurs gastronomes pour l’éternité. S’ils veulent conserver cette particularité de leur culture dont ils sont si fiers, ils doivent lutter tous les jours, chaque fois qu’ils font le marché et qu’ils se mettent à table. Se monter exigeant vis-à-vis de son assiette, c’est aussi l’être vis-à-vis de toute la chaîne agro-alimentaire et de soi-même. Pour rester une oasis d’optimisme et de joie de vivre dans l’imaginaire français, pour ne pas devenir un vague souvenir du temps jadis, le jardin des délices demande des soins jaloux et une surveillance de chaque instant. Comprendre sa genèse peut aider à en prendre conscience.» (11-12)

 

La table fait toujours appel aux quatre sens. «Sans prétendre définir avec précision les règles de la gastronomie, on peut toutefois admettre qu’elle fait appel bien entendu au goût, mais aussi aux quatre sens, ce qui n’est le cas d’aucune des expressions artistiques habituellement classées comme telles. Les beauté des formes et des couleurs (des mets comme de la table et du décor), les fumets, le bruit des liquides précieux qui s’écoulent, des pâtes feuilletées et des grillades qui croustillent, le toucher de cristaux, des argenteries et des fines lingeries de table, les consistances glissantes, résistantes ou craquantes des mets : tout concourt à créer une atmosphère dont l’harmonie, reconnue par les convives et partagée par la conversation, est le signe d’un moment intense.» (23-24).

 

L’authentique gastronomie entretient une connivence avec le paysage et l’environnement social dont elle est issue. «Des mets habituellement jugés ordinaires peuvent être sublimés par les circonstances et le cadre : le sandwich au hareng saur dévoré à belles dents et arrosé d’aligoté dans le petit matin frais des vendanges bourguignonnes, la marron grillé du coin des rues de Paris les jours de brouillard glacé, les moules-frites dégustées sur les grandes plages d’Ostende et de Knokke-le-Zoute sont autant de mets aussi gastronomiques que le foie gras des Trois Empereurs dégusté, face à la Seine, au septième ciel de la Tour d’Argent.» (25-26).

 

Le contexte ajoute au plat toute sa dimension symbolique voire spirituelle. Relatant la description par Salvador Dali de son dîner chez Dumaine à «La Côte d’Or» en Bourgogne, l’auteur donne tout son sens à la nécessaire reconnexion du corps à son environnement pour apprécier pleinement un aliment et pour le cuisiner  : «Un soir à Saluiez, M. Dumaine m’a dit : «Voyez cette écharpe de brouillard, à mi-hauteur de la baie de peupliers. Au-dessus des feuillages, le ciel est limpide, les étoiles sont claires. Au pied des arbres, vous pourriez compter les trèfles. Recueillez-vous, c’est par de telles soirées, quand la brume flotte à cette hauteur exacte, que je peux réussir le pâté en croûte que je vais vous préparer.» Je me suis mis à table, contemplant le paysage, et ma jouissance gastronomique fut suprême. Ce même pâté, sans ce discours, je l’eusse avalé distraitement. Il faut qu’on me dise qu’un plat est exceptionnel pour que mes papilles frémissent.» (26).

 

Et l’auteur de citer Michel Onfray à propos de la propension de la gastronomie de nous raconter par les sens et la connaissance la géographie : «Il n’y a de géographie sans ennui que gourmande.» (27)

 

Le vrai combat à mener est la qualité des matières premières ! «(...) la volonté mesquine parfois exprimée par certains chefs de breveter les recettes relève de la mégalomanie qui guette depuis toujours la profession et, aujourd’hui, les administrations censées la protéger. Tout avocat prenant le temps de se pencher sur les anciens livres de cuisine prouverait sans peine qu’aucune recette n’est réellement originale. Non, le bon combat à mener n’est pas celui-là : c’est celui de la qualité des matières premières.» (210-211)

 

Le goût stimule l’esprit. «Les Français gagneraient à se rappeler qu’ils n’ont jamais méprisé le goût au cours de leur histoire et donc à remettre en culture ce sens partiellement retourné à la friche. On ne dit pas assez que maîtriser des papilles, c’est-à-dire discerner ce que l’on mange et ce que l’on boit, développe l’intelligence autant que la pratique de la musique ou de la peinture et procure, comme tous les arts, d’immenses et nobles satisfactions. Défendre ce point de vue fait sourire dans bien des milieux qui s’estiment cultivés ou intellectuels, ou bien encore attachés à une spiritualité désincarnée. Il cite à ce titre l’oenologue Jacques Puisais et le psychologue Matty Chiva  pour qui le goût comme l’odorat «a une tonalité profonde et immédiate»  et le biologiste Jean-Marie Bourre qui revendique une «aimable diététique du cerveau et donc de l’intelligence" : «seuls les aliments judicieusement choisis permettent au cerveau de se construire, de se maintenir, d’oeuvrer. Seule une alimentation adaptée autorise l’organisme à fonctionner à son service.» (223)

 

L’alimentation doit avant tout donner santé et plaisir. «(...) Jean-Marie Bourre défend avec énergie ce point de vue, l’alimentation doit faire plaisir et ne pas se borner à une machinale ingestion de calories. Il prône une véritable «diéthétique»  cérébrale qui associe équilibre biochimique et recherche de la joie de vivre.» (224)

 

La géographie et l’histoire sont les indispensables composantes d'une bonne gastronomie. La grande cuisine, si elle se prétend ainsi, ne peut être hors-sol. L’auteur cite Alain Chapel qui a beaucoup décrit la cuisine d’émotion se plait ici à moquer le snobisme de ladite grande cuisine : «On sait bien que certains cuisiniers aujourd’hui se prennent pour des inventeurs et voudraient présenter leur sorbet de truffe ou leur feuilleté de sole à la crème Chantilly à quelque concours Lépine de la cuisine. Ils se font plaisir à réaliser, croient-ils, quelque chose d’inédit, qui n’a pas germé au soleil de la nature mais au néon de leur fantaisie. Moyennant quoi, ils nous concoctent des plats aussi inutiles et compliqués que la traduction en alexandrins d’un médiocre roman policier. Ces usages sont très différents de ceux que règle le terroir, qu’impose une connaissance précise de son espace. Plus que privilégier l’originalité à tout prix, le cuisinier doit tenter de capter ce qui reste d’un héritage, s’interroger sans cesse sur les particularismes culinaires, chercher à en savoir les motivations profondes.» (228)

Santé-Goût-Terroir

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